Le Poisson d'Avril du Tchouk

 

Le Tchouk est taquin. Avec la complicité de son journal favori, La Vie de l'Auto (ou LVA pour les intimes), il a réalisé un canular publié par LVA dans son numéro 980 du 5 avril 2001. Merci à eux d'avoir ainsi joué le jeu.

Pour l'occasion, le Tchouk avait pris un pseudo: A. Lamesson... Beaucoup y ont mordu!

Voici l'article...


L'histoire que nous conte A. Lamesson, un mordu de l'auto ancienne, est loin d'être banale, dans le choix de la démarche comme dans celui de l'auto, et va sans doute susciter bien des réactions. Jugez plutôt!

Ayant déjà mené à bien la restauration de plusieurs voitures populaires, je suis de plus en plus lassé de la banalité de ces autos "plus belles que neuves", aux chromes et aux laques de bien meilleure qualité qu'à l'époque. Je passe les modèles de base déguisés en haut de gamme!

Je cherchais quelque chose de différent. Aussi ai-je déniché dans les annonces de LVA une rare Panhard Dynamic 140, modèle Parisienne, de 1939. La Parisienne se distingue de la berline habituelle (si l'on peut dire !) par des marchepieds aux portes arrières et un pavillon surélevé. De plus ma voiture présente la particularité de disposer d'une séparation chauffeur.

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Juin 2000: A. Lamesson ramène de Savoie la Dynamic Parisienne 1939 qu'il vient d'acheter en bon état d'origine et tournante.

Je l'ai achetée dans un beau jus d'origine, complète après trente ans d'immobilisation. Le six cylindres sans soupapes tournait parfaitement en produisant son caractéristique panache de fumée.

C'est à ce moment que je me suis réellement posé des questions : faut-il vraiment en faire une énième restauration concours? N'y a-t-il pas moyen de rendre hommage à cette belle voiture autrement qu'en la rendant banale? Après tout, un lifting n'a jamais rendu jeune...

Je me suis alors souvenu de vieux articles présentant de superbes épaves exposées à Sarlat; ces magnifiques Bugatti, Voisin, etc. ont suscité l'admiration et fait couler beaucoup d'encre. Ensuite, elles ont été restaurées et plus personne n'en parle plus, elles sont redevenues anonymes.

J'ai donc décidé de faire de ma Panhard une sorte de monument à l'histoire de l'automobile, un hommage au génie humain face au vieillissement. Bref, de la restaurer à l'envers !

La première étape a été de lui trouver un écrin à sa mesure : après négociation avec ma femme, le fond du jardin lui a été consacré, sous quelques arbres protecteurs.

 Ensuite il a fallu démonter l'ensemble des parties mécaniques jugées inutiles pour la suite.

Un de mes voisins, revendeur en métaux, a récupéré le lourd et volumineux ensemble moteur-boite, transmission, train avant, ce qui a largement couvert les frais de rapatriement de la voiture.

Ainsi débarrassée de ses éléments mécaniques, la coque a été déshabillée de presque tous ses équipements. C'est à ce stade que je me suis permis une petite fantaisie en enfonçant le toit et en pliant l'aile avant gauche...

Dans un local que j'ai spécialement équipé pour récupérer les liquides et ainsi éviter toute pollution, j'ai entamé un processus de préparation des tôles: décapage rapide, puis projection d'acide nitrique afin de perméabiliser le métal. Après environ une semaine, j'ai projeté une solution d'eau salée à raison de trois fois par semaine pendant quatre mois. Le local étant chauffé, cela m'a assuré une atmosphère marine permanente qui a abouti au résultat escompté, que vous pouvez admirer.

Il n'a plus suffi que de mettre la Panhard en situation, autour d'un petit arbre. Au bout de six mois d'arrosage régulier, la végétation a repris ses droits, la mousse est apparue et l'on dirait que la voiture est là depuis cinquante ans.

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Mars 2001: La Dynamic telle qu'elle se présente actuellement, au fond du jardin toulousain de A. Lamesson!

Je suis bien conscient que certains vont crier au scandale, mais j'estime que cette démarche est plus saine et respectueuse de l'origine que d'aller flanquer des panneaux publicitaires sur une pauvre C4 repeinte en jaune vif ou de découper une 4cv Affaire pour la transformer en "découvrable d'origine"… Tous ceux à qui je montre ma Dynamic trouvent qu'elle impose le respect.

A. Lamesson, Toulouse

Comme vous, amis lecteurs, nous avons été sous le choc en recevant ce long témoignage et les photos qui l'accompagnaient. Pourquoi ne pas avoir choisi une voiture déjà en épave? "C'aurait été une autre démarche, nettement moins forte", nous fut-il répondu.

Et pourquoi avoir envoyé les éléments mécaniques à la ferraille? "Pour ne pas éveiller les foudres des collectionneurs panhardistes, qui connaissaient cette Dynamic. Pour vivre heureux, vivons cachés."

Mais alors pourquoi révéler "le crime" après coup? "Parce qu'on ne peut revenir en arrière et que je suis plutôt fier du résultat."

Consternant, dites-vous?


La semaine suivante, LVA publiait un démenti...

Des poissons partout!

Un véritable aquarium, LaVie de l'Auto de la semaine dernière! A commencer bien sûr par le récit de M. Lamesson au sujet de sa Panhard Dynamic... Le véritable propriétaire de cette voiture l'exposait d'ailleurs en l'état au salon de Colomiers, les 24 et 25 mars. Son objectif est de remettre toute la mécanique à neuf mais de ne surtout pas toucher à son aspect, en conservant donc la peinture d'origine et la sellerie, sous housses depuis toujours.


Suite à ce poisson d'avril, LVA a reçu un imposant courrier des lecteurs.

Voici les morcaux choisis publié dans l'édition numéo 983, du 26 avril:

Poisson d'avril !

La masse de courriers reçus en réaction à "l'épavisation d'une Panhard Dynamic", article qui constituait le principal poisson d'avril de LVA et dont tout le mérite revient à son instigateur, propriétaire de cette belle Panhard nous oblige à en publier quelques extraits. Disons le d'emblée: ceux qui y ont cru sont la majorité et leur indignation est notre récompense. Sans rancune!

Stupéfait, désolé, abattu, consterné, triste, scandalisé... Les mots me manquent pour décrire mes sentiments lorsque j'ai lu votre article en deuxième page de LVA du 5 avril. Comment peut-on, à notre époque, avoir de tels comportements envers ce qui reste de notre passé automobile, si rare? Comment a-t-il le courage de relater ses "exploits" destructeurs? Moi qui passe presque tous mes loisirs à essayer de sauver la moindre voiture enfouie dans la campagne... Et pourquoi avoir pris une telle base? Le vendeur doit pleurer aujourd'hui...

Karl F., Montignac

Emotion intense à la lecture de "l'épavisation". Il est certain que M. Lamesson est atteint de schizophrénie grave. Les hôpitaux psychiatriques sont remplis de cas similaires, tous aussi sincères et prolixes. Si la Dynamic, tournante et en bon état, impose le respect, M. Lamesson ne tourne pas rond et inspire le mépris.../... Je souhaite que LVA publie les réactions indignées telles que la mienne, qui ne manqueront pas. Cela vous disculpera de vous être rendus complices de M. Lamesson en le publiant.

Joseph G., Dole

Bravo, belle mise en scène! Beaucoup ont dû mordre à... Lamesson. Utilisateur de 1945 à 1960 d'un Panhard & Levassor Sans Soupapes 1922 de famille pieusement conservée jusque vers 1980, je communie avec votre facétieux correspondant.

Dominique B., Nanterre

J'ai été scandalisé dans LVA du 5 avril le triste sort réservé à catte superbe Panhard Dynamic, un modèle rare et qui plus est en bon état d'origine. Comment ce monsieur qui a déjà restauré d'autres autos a-t-il pu en arriver là? Il a dû péter un boulon! Dommage, si l'on avait pu deviner ses projets, on aurait peut-être pu sauver cette voiture qui ne méritait pas ce destin.

P. H., Vernon

Epavisation? Je répond assassinat. Consternant de la part d'un mordu de l'auto ancienne. Je compare son acte au maître qui tuerait son chien et garderait son squelette pour l'exposer dans son jardin! Je vous envoie une photo de ma 11BL de 53, elle aussi dans son jus d'origine, avec ma fille Marion.

Pascal et Marion F.: leur 11BL ne finira pas au fond de leur jardin!

Pascal F, La Court-Marigny

Bravo pour votre poisson d'avril: géant, il fallait oser! J'imagine la tête de tous vos lecteurs. En fait la même que la mienne sur le coup, j'ai même dit à ma femme: "Ce type là, il va se faire casser la geule!". Et puis ça a fait tilt, je me suis dit: "il y a anguille sous roche". Continuez à nous faire rêver, nous qui n'avons pas les moyens d'avoir une ancienne au garage.

Dominique M., Longvic

Je suis très choqué de votre article. Si mon grand-père avait fait cela avec sa 15 Six, lui qui roule avec depuis 1954!.../... Vous appelez cela un nouveau mode de conservation mais qu'en restera-t-il dans un demi siècle?...

Vivien G., Colmar

La fascinante histoire de la Panhard Dynamic est cousue de ficelles un peu grosses, à trois jours du 1er avril. Mais c'est très subtilement fait. J'ai moi-même souvent été tenté, de par mes déviances perverses et à cause du coût prohibitif des restaurations, de recréer des cimetières hallucinants de ce genre. Que ceux qui n'ont pas été bouleversés par le garage d'Oradour-sur-Glane ou par la fantasmagorique collection de Michel Dovaz, fugitivement mise en scène à Sarlat, me jettent le premier boulon! Et puis... la réalité dépasse parfois la fiction: j'ai vendu en 1993, à un ami, une rare Giulia 1300Ti rouge avec contrôle technique et tout et tout. Il l'a garée dans son jardin, le nez dans les rosiers, et n'y a plus touché. Je viens de la récupérer, c'est devenu une semi-épave. Les méandres de la psychologie sont impénétrables; chez les amateurs d'autos anciennes, c'est pire!

Gérard P., Wihr-au-Val

En un sens, "M. Lamesson" n'avait pas tout à fait tord: dans dix ans, dans cinquante ans, il restera toujours des autos de tous les ages, maintenues à grand frais en bon état de présentation. Mais verra-t-on encore la silhouette d'une vielle voiture rouillant contre une haie? Y aura-t-il encore des cimetières de voitures avec le recyclage systématique? Combien d'images fortes vont-elles disparaitre? Enfin cloturons ce tour d'horizon par un courrier du Club Trabant (voir les liens), qui ne rate jamais une occasion de monter un canular:

Pour faire suite à votre article sur l'épavisation, je vous informe que le club Trabant-Wartburg de France pratique cette méthode révolutionnaire depuis 1992, date de sa création. Dès cette date nous avons expérimenté l'épavisation sur une Trabant, puis des Wartburg et envisageons maintenant d'appliquer cette méhode sur des Barkas et deux-roues: Un grand pionnier, membre de notre club, Raymond d'Alenvert, a été le premier à nous enseigner cette pratique, en démontant des voitures. Il améliora le procédé en écrasant les carcasses au bulldozer. Cela nous permet de conserver d'avantage de véhicules dans un lieu ouvert à surface réduite, comme un jardin. Nous n'agissons que sur des voiture collectionnables, qui auront un intêt dans les années futures, des modèles complets et en bon état, régulièrement révisés par leurs propriétaires. L'épavisation présente aussi un avantage administratif et financier: plus de carte grise, plus d'assurance, plus d'entretien puisque la conservation se fait d'elle même. Je ne peux qu'inciter tous les amateurs éclairés et collectionneurs d'autos à suivre notre exemple et vénérer Raymond d'Alenvert pour son génie.

Patrice B., Nanterre

Christian M., de Viré, a récupéré au bord d'un champ dans le Calvados cette Mercury 49, modèle mythique de "La fureur de vivre". "Un paysan l'avait rachetée à un officier de l'OTAN pour tracter sa bétaillère. A sa mort, ses enfants l'ont mise dehors. Elle y est restée vingt ans!"