Le char volant d'Antonov

 

Le Tchouk aime tout ce qui est un peu fou, mais là ça va très loin !

Savez vous qu'en 1941/42 Oleg Konstantinovitch Antonov a étudié, réalisé et testé (!) un char ailé... Ce sera le KT (également appelé A-T ou A-40) réalisé à un seul et unique exemplaire.

Cette page a été réalisée grâce aux documents extraordinaires publiés dans le numéro du "Fana de l'aviation" de juillet 1999. Accrochez-vous on décolle!

Dès le début de la "Grande guerre patriotique" de nombreux bureau d'études soviétiques furent chargés de travailler sur les planeurs par le ministère de la Production Aéronautique.


O.K. Antonov en 1963, appuyé sur un planeur A-11

Très expérimenté dans le domaine des planeurs sportifs, le jeune Oleg Konstantinovitch Antonov, alors âgé de 35 ans, pris l'initiative dès 1941 de concevoir un char ailé. Celui-ci devait être remorqué par un  avion jusqu'à environ 20km de son but. Arrivé au sol, le char se débarrasserait de ses ailes et engagerait le combat...

Génial non?

Dans le plus grand secret, Antonov conçut donc une voilure adaptée au char léger T-60.

Voici ce qu'Antonov relate dans ses mémoires: "A Tioumen, où l'usine de planeurs avait été évacuée, nous avons réussi à construire le prototype du planeur de transport A-7 dans des ateliers de fortune, à peine aménagés, dans les locaux d'une ancienne brasserie et dans ses dépôts. Dans cet atelier insalubre où l'on gelait, une petite équipe affamée, formée par Belkov, Eskine, Chakhatoune, Siniaguine, aidée par le chef d'atelier Nazarov et une poignée d'ouvriers, fabriqua le "KT" dans les meilleurs délais, pendant le dur hiver de 1941-1942. L'infatigable Sacha Eskine, ayant appris à conduire le char léger T-60, le dirigea à travers les rues de Gorki jusqu'à une wagon plate-forme qui le transporta à Tioumen, juste devant nos ateliers.

Le plus dur fut de percer des trous dans le blindage très dur du char, afin d'installer les fixations de la cellule biplane des ailes. Nous avons surmonté cette difficulté majeure. Et notre "KT" fut enfin prêt."

La formule biplan avait été retenue afin d'assurer une portance maximale dans un encombrement minimal. L'empennage était également biplan.

Le char constituait la cabine dans laquelle prenaient place le pilote (également conducteur du char) et le tireur. Le planeur était ainsi piloté en vol de l'intérieur du char.

Après l'atterrissage, le pilote pouvait se débarrasser des ailes sans sortir du char.

La longueur du planeur atteignait 12m, l'envergure 18m et la surface alaire était d'environ 86m². Le poids du char en ordre de combat était de 5,8t. Equipé de ses ailes, l'ensemble atteignait 7,8t.

Le prototype du KT fut prêt en avril 1942 à Tioumen. Montage et mise au point se firent à Moscou, à l'Institut de Recherche Aéronautiques (le LII). V.S. Pankratov, le chef du laboratoire et l'ingénieur en chef de l'usine productrice A.P. Eskine furent nommés responsables des essais en vol.

Le 7 août 1942 le LII commença les essais en vol avec un char allégé sur pistes en terre battue d'abord puis sur piste bétonnée. Ces essais s'effectuaient à très basse altitude (de l'ordre de 4m). Le résultat était acceptable mais les commandes de vol étaient très dures à manœuvrer.


Sur ce cliché, la tourelle du char T-60 est démontée.

Le 2 septembre 1942, le KT fit son premier véritable essai en vol remorqué par un quadrimoteur Tupolev TB-3 (voir photo ci-dessous). Le char ailé roula sur ses chenilles jusqu'à 110-115km/h et décolla avant le TB-3 (comportement normal pour un planeur).

Vu le poids du planeur et son aérodynamisme... médiocre(!) les moteurs du TB-3 devaient constamment tourner à plein régime.

Avec une vitesse ascensionnelle minimale, l'ensemble se traîna péniblement à une quarantaine de mètres d'altitude. C'était là son plafond!

Le remorquage se poursuivi à 140km/h avec une vitesse verticale de 0,5m/s, à plein régime. Vu l'effort considérable demandé les moteurs du TB-3 arrivèrent en surchauffe (note: c'était déjà un défaut chronique du TB-3) et Eromeev, le pilote du TB-3, décida de se poser sur l'aéroport de Bykov. Il largua donc le planeur en catastrophe. Serguei Anokhine, aux commandes du char ailé, avait compris la situation dès le début et posa sans problème le planeur sur la piste de Bykov.

Néanmoins le pilotage était très difficile et s'effectuait aux prix de grands efforts.

Ce fut le premier et unique vol du char ailé.

Une fois à terre, Anokhine démarra le moteur du char et, sans décrocher les ailes, se dirigea lentement vers le PC de l'aéroport. Le commandant qui n'était pas prévenu mit la DCA en alerte et Anokhine sorti du char entouré de soldats en armes qui le menaçaient!

L'équipe de dépannage du LII arriva rapidement et calma la situation rapidement.

Il fallait maintenant évacuer le KT! Alexandre Pavlovitch Eskine prit les commandes de l'engin et prit la route (avec les aile encore en place!) vers le village de Stakhanov (anciennement Joukovski) et l'aérodrome du LII.

Dans les conclusions du procès verbal final des essais en octobre 1942 le chef du LII, le professeur A.V. Tchesalov et le commandant du polygone d'essais, écrivirent que le problème du char volant était résolu et une liste d'améliorations fut proposée.

Mais surtout le premier vol avait montré que la puissance du TB-3 était insuffisante. Ceci venait d'une erreur de calcul liée à la maquette utilisée pour les essais en soufflerie. Cette maquette ne représentait pas les haubans ainsi que les aspérités des chenilles du char. La traînée aérodynamique réelle était plus importante que prévue.

L'unique avion suffisamment puissant pour remorquer le KT était le quadrimoteur stratégique Petliakov Pe-8 (voir photo à droite), construit à seulement 80 exemplaires. Utiliser cet avion comme remorqueur aurait été une erreur stratégique au moment où celui-ci était affecté à des missions stratégiques telles que le bombardement de Berlin.

Les essais du KT furent donc abandonnés.