Souvenirs de Dyna-Pan-Pan

 

Un jour le Tchouk a demandé à son père de lui relater quelques souvenirs de sa Dyna Pan-Pan, une berline Dyna X84 3cv bleue de 1949...


"Ayant eu la chance d’avoir un oncle généreux et passionné de belles mécaniques (et sans enfants), mes frères et moi avons eu le plaisir de nous faire véhiculer dans une Delage D6 dans les années d’avant guerre; cette belle voiture fut vendue en 1945 comme taxi dans la bonne ville de Cognac et notre oncle acheta une Dyna Panhard 3cv dès que la vie reprit un cours plus normal. Des ennuis de santé le contraignirent malheureusement à cesser de conduire peu d’années après et il me confiât sa voiture pour que j’en use (avec modération, bien entendu). 22 ans et une voiture, à cette époque alors que les moyens familiaux étaient fort modestes... c’était le Pérou et je bichonnais amoureusement la "Dyna-Pan-Pan".

Les pots d’échappement de l’époque n’étaient pas d’une grande longévité, je démontais un soir la dentelle métallique qui en tenait lieu pour aller en acheter un autre le lendemain. Hélas! Au milieu de la nuit je suis appelé au téléphone par ma tante, mon oncle venant de décéder: j’ai traversé Paris vers 3h du matin avec seulement l’Y de sortie des deux cylindres! Malgré une conduite extrêmement douce où j’effleurais le plus légèrement possible l’accélérateur... combien ai-je dû réveiller de mes concitoyens cette nuit là?

Ayant la pleine possession de la Dyna, il m’arriva un phénomène, fréquent à cet âge, je me fiançais. Naturellement, j’entrepris d’enseigner la conduite à l’élue de mon coeur: le choix délicat de l’emplacement précis où il fallait placer le levier de vitesses en le maintenant serré dans la paume de la main ne parut pas l’enchanter, pas beaucoup plus d’ailleurs que les doubles pédalages ou doubles débrayages qui évitaient, si possible, les grognements désapprobateurs de la boite: le petit claquement discret qui témoignait du bon engagement des pignons lui apportaient par contre quelque soulagement dans la tension attentive de sa conduite. Malgré ces séances, les fiançailles ne furent pas rompues (elle conduit d’ailleurs toujours très bien).

Parmi les obligations habituelles dans cette phase de l’existence, la connaissance de la famille figure en bonne place; nous partons avec mes futurs beaux parents rendre visite à des cousins de Corrèze, à quelques kilomètres au dessus de Tulle. Bien que quelques souvenirs de goudron émaillent la chaussée, ce n’était pas du tout une autoroute et je constate en arrivant qu’un pneu arrière a rendu l’âme. Pas de garage bien-sûr, mais comme mes beaux parents reprenaient le train à Tulle le lendemain, je comptais y faire la réparation nécessaire. Hélas, en descendant... 2° crevaison! Etant donné les routes de l’époque et la qualité des fournitures, j’avais toujours dans le coffre une pompe à main et une chambre à air de secours; le passage en accéléré des anciens films de Charlot ne donne qu’une faible idée de l’animation qui a entouré le véhicule... et nous n’avons pas raté le train!...

Une ou deux années plus tard, nous nous rendons en Bourgogne avec un de mes frères; la Dyna est en compagnie d’une Simca Huit 1200. Du côté d’Arnay le Duc, le ronronnement régulier du flat twin est perturbé par quelques hoquets et, très rapidement, nous nous trouvons arrêtés sur le bas côté dans l’impossibilité de repartir; j’ai su après démontage que c’était le pignon de distribution en céloron qui avait perdu une bonne partie de ses dents: l’allumage dans le désordre et la levée anarchique des soupapes enlèvent beaucoup d’efficacité au moteur. Grâce à un bon câble (toujours l’outillage de bord) et à la voiture de mon frère, nous sommes arrivés au but; mais 150 km de remorquage, dont une bonne partie de nuit, est un exercice que je ne recommande pas!

Notre fils ainsi s’annonçant un soir (comme si les naissances ne pouvaient pas se faire aux heures ouvrables!), j’emmène ma femme à la maternité. Peu après le départ, la voiture se trouve envahie par une fumée nauséabonde provenant du tableau de bord; j’arrache vivement les fils de l’éclairage en me brûlant les doigts... la fumée cesse de sortir et la voiture marche toujours. Ce n’était pas le moment de flâner en chemin et comme les phares fonctionnaient encore, je suis allé au bout; ensuite seulement j’ai procédé à de plus amples investigations: tous les fils d’éclairage du tableau avaient perdu leurs gaines isolantes et le cuivre avait manifestement bien rougi.

Le ménage s’étant enrichi d’une unité, nous installions notre fils sur la banquette arrière pour qu’il dorme confortablement au cours du voyage; c’est bien entendu quand il dormait enfin, qu’il fallait le réveiller pour prendre quelqu’objet dans le coffre, accessible seulement en soulevant le dossier de la banquette arrière. J’ai souvent maudit les géniaux inventeurs de cette disposition éminemment pratique.

Malgré ces quelques péripéties, nous appréciions bien notre Dyna, agréable à conduire (quand on sait le faire), avec une bonne tenue de route, peu gourmande, de son côté elle appréciait particulièrement les soirées de voyage lorsque le moteur bien chaud était mieux ventilé par la fraîcheur du soir. Mais petit à petit les roulements de la boite de vitesses se mirent à émettre un son beaucoup plus proche de celui d’un moulin à café que d’un roulement en bonne santé; je confiais ma Dyna à un garagiste de Chantilly arborant le panneau Panhard; quelques jours plus tard, je la repris, mais constatais que la voiture était bridée. L’ayant signalé au réparateur, il me déclara qu’un rodage était nécessaire et que tout rentrerait dans l’ordre après quelques centaines de kilomètres. Bien qu’étant sceptique sur le "rodage" d’un roulement, je fis confiance à l’homme de l’art... Quelques centaines de kilomètre plus loin, en fait de rodage, la boite était éclatée et j’ai vu les cuvettes de roulement bleuies par l’excès de serrage: le lendemain, les cuvettes avaient disparu et le second réparateur a refusé de me fournir quelque papier que ce soit précisant la nature de l’avarie. Je suis retourné à Chantilly chez le premier réparateur; il avait enlevé la panneau Panhard et est resté évasif sur ce qui avait pu se passer, certifiant qu’il avait bien fait son travail! J’étais jeune et sans expérience de ce genre... J’étais surtout écoeuré. Peu de temps après, j’ai vendu la Dyna... J’en ai toujours un regret."